samedi 17 mai 2008

Les pieds dans le terroir

Mes sélections sont sévères cette année, tant il y a des crus trop chers et d’autres à des prix déments dans la région, difficilement cautionnables désormais, souvent “ciblés” pout l’export, intelligemment délaissés en France comme en Belgique. En fait, ce n’est pas un problème de prix, mais bien de rapport qualité-prix. Une bouteille simplement “bonne” à 30 e (minimum) ce n’est plus acceptable, voilà tout ! Et, connus, anciens, réputés ou non, il s’agit vraiment de faire attention à certains noms dans la région pour ne pas se faire avoir. La notoriété, comme à Bordeaux, ne suffit plus.
Pourtant, les vins de Bourgogne que vous allez retrouver dans le Guide cette année méritent leurs prix, à 10 e comme à 25 e, à 50 e comme à 100 e, certains dépassant même cette limite pour l’extraordinaire millésime 2005, où la demande est mondiale. Il suffit de comparer leur qualité intrinsèque à d’autres vins de mode totalement surcotés que l’on trouve en Languedoc, dans la Vallée du Rhône et à Bordeaux pour s’en assurer.

La force des terroirs est omniprésente, et on ne doit s’intéresser qu’aux vignerons dignes de ce nom, ceux qui pratiquent l’amour du terroir associé à une convivialité exemplaire, et c’est ce qui compte ici, tant cela peut manquer dans d’autres régions. Car ici, le vin est avant tout un art de vivre. On partage un moment (et on boit un “canon” en même temps) avec ces vignerons talentueux et passionnés, souvent très discrets, mais avec lesquels on partage, quand on les connaît, une convivialité rare.
Ici, il y a donc les incontournables qui élèvent quelques-uns des plus grands vins rouges du monde (Lamarche, d’Angerville, Trapet, Moillard, Rebourseau, Bourrée…), ou blancs bien sûr, tant cette catégorie ne supporte pas de comparaison (Clos des Perrières, Ampeau, Antonin Guyon, Tremblay, Pinson ou Laroche à Chablis…); d’autres avec des vins vraiment exceptionnels pour leur rapport ­qualité-prix-typicité (Blondeau-Danne, Prunier, Laleure-Piot, Marey, Doudet-Naudin, Audoin, Chevillon…), et enfin un véritable vivier de crus qui méritent une commande, que l’on retrouve notamment dans la catégorie des Deuxièmes Grands Vins Classés, dans l’ensemble des appellations.




Bien sûr, il s’agit de savoir faire le bon choix, tant la complexité des classements en crus, clos, climats, et le fait qu’un vigneron puisse posséder une multitude de crus dans un périmètre très restreint (quelques ares…) ne peuvent que multiplier les différences. La Bourgogne est un paradoxe à l’état pur, où la nature, au travers des terroirs et des microclimats, est omniprésente. Comment expliquer que l’on puisse trouver autant de différence entre un Nuits-Saint-Georges ou un Pommard, un Meursault ou un Montrachet, quand on sait que le cépage (Pinot noir ou Chardonnay) est unique, et que l’on ne peut pas “jouer” sur la proportion des raisins ? Quand on se promène entre les murets qui entourent les vignes des Grands Crus, on voit qu’à quelques mètres de distance le sol ne produit pas les mêmes crus. L’altitude des vignes, selon qu’elles se situent à 150 ou 300 m, l’inclinaison des pentes (les meilleurs vins proviennent des mi-pentes), la richesse des sous-sols en ressources minérales, en sodium, en oligoéléments… Tout concourt ici, dans un “mouchoir de poche”, à faire la différence entre un bon vin et un vin sublime. Ajoutez à cela l’exposition (fondamentale) face aux mouvements du soleil, un territoire pauvre où la terre est rare, et vous comprendrez l’extrême diversité des grands vins bourguignons. Globalement, les Grands Crus sont régulièrement “supérieurs” aux Premiers Crus, l’exception et le talent de l’homme confirmant la règle.
Bien entendu, ici comme ailleurs, quelques producteurs élèvent des vins trop “travaillés” (et bien chers) où le fût neuf est employé à l’extrême, ce qui n’est pas pour arranger le Pinot noir notamment, qui demande de la finesse. Il en va de même pour certains blancs, où la barrique (et tout le baratin que l’on va vous raconter) ne remplace pas le terroir...

Mes Classements 2008 vous permettent de faire le point, en tenant compte qu’il existe une véritable hiérarchie interne à chaque catégorie et qu’il ne faut pas comparer, bien sûr, un classement d’une appellation à celui d’une autre appellation.


Les grands millésimes
Pour les rouges
- les grands : 2005, 2003, 2002, 2000, 1999, 1995, 1990, 1989, 1985, 1983, 1979, 1978, 1976, 1978, 1971, 1970.
- les bons : 2006, 2004, 2001, 1998, 1996, 1993, 1988, 1986, 1979.
Pour les blancs
- les grands : 2006, 2005, 2004, 2002, 2000, 1999, 1998, 1995, 1990, 1989, 1986, 1985, 1983, 1982, 1979, 1978, 1976, 1970.
- les bons : 2003, 2001, 1997, 1996, 1994, 1988, 1987, 1971.


Millesimes

vendredi 15 février 2008

La vérité sur le 2007

Brigitte Dussert : le terroir, le talent des hommes, les soins apportés aux vignes... sont les “secrets” d’un beau 2007 ?

Patrick Dussert-Gerber : l’élégance prime cette année. Tout le monde apprécie en effet de déboucher des vins qui s’accordent parfaitement aux mets et ne sont pas lourds, des vins aromatiques mais pas surpuissants.

C’est aussi cela la force des vins français, on se fait plaisir à table, on ne les boit pas en-dehors des repas, comme un whisky ou un cognac, à l’apéritif ou en digestif comme le font les américains ou les asiatiques.

Nous revenons, avec les millésimes 2006 et 2007, à des vins élégants. Ceux qui ne connaissent pas bien la force des terroirs français se méprennent avec le 2007, il ne faut pas oublier que c’est toujours le mois de septembre qui fait le vin à Bordeaux et non pas le mois d’août, et je précise aussi que la notoriété de tous nos vins typés français, c’est leur élégance, leur finesse et non leur concentration.
Ce seront donc les grands terroirs qui feront les meilleurs 2007, mais pas uniquement les plus connus, car il y en a de beaux terroirs partout dans le bordelais : en Côtes de Bourg, à Blaye, en Bordeaux Supérieur, à Montagne Saint-Émilion... Les vignes plantées n’importe où, dans les palus du Médoc ou les plaines sableuses de Saint-Émilion ne donneront qu’un tout petit millésime 2007... C’est normal, la nature reprend ses droits, et c‘est très bien comme cela.

Et puis, à l’exception de territoires bien spécifiques propices au Merlot (certains vins du Libournais seront remarquables), le 2007 est surtout le millésime du Cabernet-Sauvignon, mais aussi du Cabernet franc, un cépage difficile comme le Petit Verdot, qui se sont particulièrement bien exprimés cette année.

Ce qui différencie un vrai vin (le prix n’entre pas en compte alors) d’un simple produit aseptisé, rouge ou blanc, c’est donc ce qu’il nous apporte : le plaisir.

Et l’on ne se fait pas plaisir quand on débouche certains vins “modernes” ou à la mode. L’abus de la barrique neuve en est un exemple type. Rares sont les vrais grands vins qui dépassent 50 à 70% de barriques neuves, et, eux, ont un terroir qui permet de sortir des vins qui “tiennent” autant de pourcentage de fûts neufs.

Il est aisé de comprendre qu’un élevage à 100% en barriques neuves ne peut que produire des vins trop boisés, imbuvables, certains à la limite de l’écœurement à cause, en plus, d’une concentration à outrance. Les années trop chaudes n’arrangent rien.

Ce 2007 laisse s’exprimer en priorité le fruit. Je n’aime pas goûter les vins trop jeunes, mais je l’ai fait cette année pour vérifier, au hasard des fûts. J’ai constaté avec plaisir que les vins ne sont pas masqués par le bois, cela prouve qu’il y a une structure réelle.

C’est vrai que ce 2007 demande du savoir-faire, et ne pas mettre le vin 100% en barriques neuves, préférer des barriques de peu de chauffe et oublier les barriques en chêne américain... Il fallait adapter la vinification et l’élevage pour garder le fruit et la finesse du vin, c’est tout un art, j’en conviens, et c’est cela que j’admire et respecte.



Brigitte Dussert : en fait, cette élégance qui caractérise les vins françaus, c’est aussi ce que vous défendez quand vous critiquez les “cuvées” spéciales, faites pour séduire et avoir des bonnes notes...

Patrick Dussert-Gerber : aujourd’hui, la priorité, c’est de laisser s’exprimer son terroir, en respectant la vigne, en limitant les rendements, en pratiquant la lutte raisonnée, en laissant faire la nature… Il y a une dizaine d’années, le travail des vignes avait été délaissé dans certains grands crus, au profit de la vinification et d’expériences à outrance. Si les techniques modernes sont souvent remarquables, les propriétaires traditionnels continuent de faire ce qu’ils savent faire, en se servant des progrès mais sans masquer leur typicité.

C’est cela, avoir une éthique. Elle s’exprime au travers de notre respect pour le consommateur, pour nos lecteurs, pour les amateurs, pour les jeunes comme pour les moins jeunes, en sachant bien que l’apprentissage des vins, l’information, demandent du temps, de l’argent, de la patience, de la passion, de l’intérêt. Cette éthique s’exprime aussi en défendant les vignerons passionnés et passionnants.

On comprend qu’il y a aujourd’hui deux mondes du vin, deux options : l’une où l’éthique prime, l’autre purement commerciale.

D’un côté, il y a des marchands ou des opportunistes qui font des vins standardisés ou “putassiers” en prenant les consommateurs pour des idiots. De l’autre, des vignerons humbles et respectueux de leur sols.

En parallèle, les prix très exagérés de certains vins renommés sont difficilement cautionnables, surtout pour le 2005. Misez donc sur les 2006, 2004 et 2002, voire 2001, très classiques, encore trop jeunes à boire, et faites-vous plaisir avec les 99, 97, 96 ou 90.

En 10 ans, on ne vinifie plus de la même manière, il y a eu une réelle amélioration des techniques, de la technologie au service de la viticulture ce qui aide à produire de meilleurs vins, c’est incontestable.



Brigitte Dussert : le vin, ce n’est pas une boisson, cela doit rester un plaisir...

Patrick Dussert-Gerber : je me régale aujourd’hui avec des Bordeaux 1997 et 1999, qui, à l’époque de leur sortie, avaient été décriés. Eh bien, pour ce 2007, les conditions étaient bien meilleures qu’en 1997... Ce qui laisse augurer des moments de plaisir réels. Avant de critiquer, il faut aller goûter, comme je l’ai fait, et avoir une mémoire des millésimes, c’est-à-dire de l’expérience.

La force du vin, c’est d’être un produit vivant et convivial. Ce goût du vin, c’est avant tout culturel, c’est une question de mémoire collective avec une histoire, une tradition, ce que ne pourra jamais offrir un vin “fabriqué”, français ou étranger. On prend autant de plaisir avec un vin modeste qu’avec un grand cru, question de circonstance.

Le vin, c’est une culture, et donc un véritable patrimoine qui vaut la peine d’être défendu. Il faut soutenir le travail des vignerons qui vont dans le même sens, qui partagent cette même éthique, à savoir le respect de la nature, du terroir, de l’homme, et le plaisir du vin. On défend tout cela, nous !



Millesimes